Encore le syndrome d’Obélix
Mes souvenirs d’enfance sont des souvenirs d’église, de catéchisme, de colonies chrétiennes, de versets bibliques appris par cœur, de chants joyeux et édifiants. Chez mes parents, il n’y avait pas d’hypocrisie. Mais une foi humble et vivante. Rien qui ne pouvait m’amener à douter. Je ne pouvais que croire…
Les doutes ravageurs
C’est pourquoi mes premières incertitudes ne sont survenues que tardivement, lors de mes études en faculté d’histoire. Là, pour la première fois, j’ai été confronté à des professeurs dont j’admirais la connaissance mais qui ridiculisaient la foi chrétienne. Je me suis laissé aller à penser que j’avais peut-être subi un simple lavage de cerveau depuis mon enfance…
Cette pensée a ouvert une brèche où se sont engouffrées deux années de questionnements aussi douloureux que fondamentaux :
- Dieu existet-il ?
- Si oui, Jésus-Christ estil Le chemin ?
- Et la Bible, estelle pleinement inspirée ?
Le combat a fait rage dans ma tête et dans mon cœur. Mais l’issue heureuse en a été le renouvellement de mon engagement chrétien. Je pensais alors m’être débarrassé du doute, une fois pour toutes.
À tout âge
Le choc a donc été rude, vingt ans plus tard, quand le doute s’est manifesté à nouveau. J’étais alors engagé à temps plein dans un ministère d’implantation d’église et d’enseignement de la Bible. Son retour subit a provoqué en moi une angoisse paralysante. La nuit, ma poitrine, serrée comme dans un étau, essayait de contenir les battements désordonnés de mon cœur. Ma tête, tourmentée et fatiguée, se perdait à moitié consciente dans des labyrinthes sans issue.
Le doute, même chez un serviteur de Dieu !
Le matin apportait en général un nouvel espoir. Mais je me rappelle m’être levé pour prêcher un dimanche et avoir entendu une petite voix intérieure qui chuchotait : « Hypocrite, tu mènes les gens en bateau, tu les convaincs de choses dont tu n’es plus certain toi-même… » Pourquoi avaisje tant de mal à refouler ces questions, alors que quantité de chrétiens autour de moi semblaient avoir une foi sans plis, sans panique ? Se pouvaitil que, tout comme moi, certains cachent leurs doutes ?
Le doute chez les serviteurs de Dieu dans la Bible
Si je devais marcher le long de cette route parsemée de doutes, je voulais savoir si d’autres y avaient marché avant moi. Selon la première épître aux Corinthiens, au chapitre 10, verset 13, les tentations qui nous assaillent sont « communes à tous les hommes. » Je me suis rappelé alors que bon nombre de personnages bibliques avaient douté à un moment ou à un autre de leur marche avec Dieu. Deux récits m’ont particulièrement étonné et rassuré.
Jean-Baptiste
Jean-Baptiste a reçu de multiples preuves indiscutables de l’identité divine de son cousin Jésus.
Combien de fois Elisabeth atelle dû lui raconter l’histoire de sa confession de foi prénatale ? N’avaitil pas vu de ses yeux la colombe descendre ?
N’avaitil pas entendu de ses oreilles la voix disant : « Celuici est mon Fils » ?
N’avaitil pas crié luimême avec conviction : « Voici l’agneau de Dieu» !
Ce prophète, dont Jésus luimême a dit qu’il était le plus grand parmi tous les hommes, pouvaitil encore douter après tout cela ? (Évangile de Luc, chapitre 7, versets 18 à 28)
Oui ! Quelques mois plus tard, alors qu’il était en prison, le doute a pris le dessus. « Jésus estil vraiment Celui qui doit venir ? » L’incertitude est devenue intolérable ; il a envoyé quelqu’un vers Jésus pour lui poser la question : « Estu Celui qui devait venir » ?
Les disciples
Un deuxième exemple de doute me paraît encore plus surprenant. II est logé dans un demiverset qui passe souvent inaperçu. « Les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la colline que Jésus leur avait indiquée. Dès qu’ils l’aperçurent, ils l’adorèrent. Quelquesuns cependant eurent des doutes » (Évangile de Matthieu, chapitre 28, versets 16 & 17 Bible du Semeur).
Dans ce texte, la coexistence de l’adoration et du doute est quasi simultanée. Les disciples, dans leur ensemble, étaient encore tracassés par des doutes, malgré les multiples apparitions du Christ ressuscité ! Au passage, il vaut la peine de préciser que ces doutes ne les ont pas empêchés ni de l’adorer, ni de le proclamer, et d’aller jusqu’au martyre pour l’évangile.
Le fait de me retrouver en compagnie d’autres pèlerins vacillants a sensiblement diminué mes sentiments de solitude et de culpabilité. Était-il possible d’avancer dans le service chrétien malgré ses doutes, comme il est possible de faire des actes héroïques malgré sa peur ?
Le doute ne pouvait être mon expérience exclusive puisque j’y ai trouvé de multiples références dans les prières de l’église, les cantiques, la littérature chrétienne…
Dans les cantiques
Nos cantiques n’ont pas boudé ce thème non plus. Alain Stamp, dans sa composition « Si tu bois au torrent », s’exclame :
« Quand souvent sur la route tu te sens fatigué, Dans la lutte ou le doute, ou quand tu es tenté. Si tu bois au torrent il te rafraîchira… »
Ces paroles classent le doute avec des problèmes aussi fréquents que la fatigue, la lutte et la tentation.
Dans la littérature chrétienne
Le Voyage du Pèlerin, l’œuvre colossale de John Bunyan, a trouvé un écho universel dans le cœur des chrétiens. En décrivant le parcours typique du chrétien, cet auteur n’a pas pu passer sous silence la lutte brutale avec le doute. Fait intéressant, il place cette lutte assez tardivement dans le voyage du Pèlerin, à un point où « Chrétien » (le héros du livre) est décrit comme « plus âgé et expérimenté.»
Les tentations mondaines de la Foire aux Vanités sont derrière lui. Elles n’ont eu pour lui aucun attrait.
Mais « Chrétien » sera terrassé par un ennemi plus subtil. Il sera fait prisonnier dans le donjon du Château du Doute, où il est torturé par le géant du Désespoir. Il est tant affligé qu’il pense au suicide. II n’y a que les encouragements de son compagnon de route, Pleind’Espoir, et la clé retrouvée des promesses bibliques, qui lui permettent de s’en échapper.
Ce passage du livre pourraitil être autobiographique ? Il retrace en tout cas les bagarres personnelles de Bunyan avec le doute, pendant les douze années qu’il a passées enfermé dans la prison de Bedford.
MAIS AU FAIT, POURQUOI DOUTONS-NOUS ?
Y aurait-il un avantage ?
Le doute a une fonction positive quand nous devons prendre une décision. Il nous prémunit contre les croyances naïves et les jugements hâtifs, inconsidérés. Quel acquéreur d’une nouvelle maison ou d’une nouvelle voiture n’a jamais hésité avant de signer son chèque en se disant « et si ce n’était pas le bon choix » ?
L’intensité du doute semble être proportionnelle à l’importance de la décision. On se torture plus l’esprit avant de se fiancer par exemple, qu’en se demandant s’il faut passer à droite ou à gauche de l’arbre !
Il paraîtrait normal alors que la décision de suivre JésusChrist, qui demande un engagement total, soit accompagnée aussi de doutes. Ce genre de doute ne pourraitil pas être une grâce, une protection, programmée d’origine dans le disque dur de notre fonctionnement ?
Expression différente en fonction de ton caractère
Il serait étonnant que tu fasses partie de cette petite minorité de personnes, malades du doute. Mais même dans la gamme du normal, il y a des personnalités plus au moins sujettes au doute. Avec l’âge, j’ai appris à me connaître.
Je sais maintenant que je fais partie des personnes sujettes au doute. Certains, bienheureux, vivent dans un monde noir et blanc, rempli de certitudes sur chaque question. Mais mon univers est composé d’une palette qui va très progressivement du noir au blanc, en passant par de multiples tons de gris. Quand je dois prendre une décision, je mets du temps et je cherche de nombreux conseils. Je vois le pour et le contre de tout, et souvent ils se contrebalancent ! Dans certaines situations, c’est un avantage, dans d’autres, c’est un boulet.
Ne te voile pas la face.
Un frère aîné avec qui j’ai partagé mon problème m’a mis sur la piste de la personnalité.
« Tu es quelqu’un de cérébral, m’a-til suggéré. Ce n’est pas étonnant que ce soit à ce niveau que tu sois attaqué. »
Ayant eu une enfance protégée, je ne suis jamais tenté par la cigarette ou l’abus de l’alcool par exemple. J’ai même du mal à comprendre ceux qui le sont. Mais j’ai la faiblesse du doute, un compagnon indésirable dont il serait dangereux d’ignorer ou de nier la présence.
Nous qui sommes dans ce cas, nous devons veiller à ce que la triste description dressée par l’apôtre Jacques ne devienne pas notre réalité : « Celui qui doute est semblable au flot de la mer, que le vent agite et soulève. Qu’un tel homme ne pense pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur : c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies » (épître de Jacques, chapitre 1, versets 6 à 7).
Satan à l’affût
Un peu plus haut, j’ai employé le mot « attaqué. » Connaissant les Écritures, nous ne pouvons ignorer que la ruse de prédilection de Satan est le doute. Les premières paroles qu’il prononce sont « Dieu atil réellement dit ? » (Genèse, chapitre 3, verset 1)
Puis, dans le désert, il tentera de semer le doute chez Jésus : « si tu es le Fils de Dieu… » (évangile de Luc, chapitre 14, versets 3 à 9) Satan est confiant, pensant même pouvoir amener Jésus à remettre en doute son identité de Fils de Dieu.
Penses tu qu’il se priverait de cette méthode contre des proies faciles comme toi et moi ? Je me piège moi-même.
Souvent le doute naît en nous quand Dieu ne fait pas ce que nous pensons qu’Il devrait faire. Dans un moment de louange au culte, j’ai entendu la prière suivante: « Merci Seigneur de ce que tu nous protèges de tout accident. » L’assemblée a rajouté le traditionnel «amen. » Mais je suis resté la bouche fermée. Que fera ce frère le jour où lui ou un proche auront un accident ? Il doutera soit de la bonté, soit de la puissance de Dieu. N’estce pas là un des thèmes de Job ? Dieu, souverain, se réserve le droit de permettre le malheur, sans note explicative. J’ai remarqué que mes doutes sont parfois liés à mes circonstances malheureuses. Cela pourrait être une période particulièrement infructueuse de mon ministère. Par exemple, un manque de réponse à ma prière. Ou une déception dans ma lutte avec le péché. Mais le plus souvent, c’est ma conception de Dieu qu’il faut revoir, pas Dieu lui-même.
COMMENT GÉRER LE DOUTE QUAND IL VIENT ?
Reconnaître
J’hésite à employer le terme « gérer. » Ne faudraitil pas dire vaincre ? N’estce pas là un compromis ? Mais étant donné que le doute a parfois une fonction positive protectrice, et que par expérience je sais que le naturel revient toujours au galop, je garde le verbe gérer. N’en estil pas de même de manière générale avec la tentation? Luther, avec son verbe habituel, a comparé celleci à des oiseaux que tu ne peux empêcher de voler audessus de ta tête. Mais que tu dois empêcher de nicher dans tes cheveux.
La tentation n’est pas péché, puisque Jésus luimême a été tenté. Elle ne devient un péché que lorsque je lui cède. Des pensées de doute non plus. Mais j’ai appris que je dois lutter activement pour les empêcher de faire leurs nids dans ma tête.
Nier et refouler ne sont d’aucune utilité. J’ose m’avouer mes propres doutes, et j’ose exposer ma lutte à quelques personnes de confiance. Comme la peine, le doute diminue d’intensité quand on le partage avec les bonnes personnes. Elles portent ce fardeau avec moi, prient et veillent sur moi. J’ai souvent senti dans leurs bras les bras même de Dieu.
Équilibre, honnêteté
Fautil lutter intellectuellement contre le doute ? Blaise Pascal a dit qu’il y a deux excès à éviter : exclure la raison, et n’admettre que la raison. Dans cet équilibre délicat, je demande à Dieu de m’aider à discerner les doutes que je dois explorer honnêtement, et ceux que je dois rejeter immédiatement comme nuisibles. Il me semble que l’EspritSaint et l’expérience équipent pour détecter l’odeur de soufre qui accompagne souvent le doute.
Mais être chrétien n’est pas un suicide intellectuel, et j’ai été beaucoup aidé par des auteurs tels que C.S.Lewis et Francis Schaeffer. Dieu a donné ces hommes et d’autres à l’Église pour aider des croyants dans le doute.
Retour à l’envoyeur
Ceci étant dit, la réponse au doute est plus globale que de lire de bons livres. L’intellect n’est qu’un composant du problème. Si au début, je me croyais obligé d’explorer toute pensée de doute pour trouver des réponses, plus tard j’ai appris aussi que je devais douter de mes doutes. Par cela, j’entends couper court à ces penséeslà, savoir dire « arrière de moi Satan! » Ceci m’a évité bien des méandres dans les lieux peu sûrs de mon raisonnement.
Entête-toi
La foi est un muscle qui se développe quand il est utilisé. Ceci est d’autant plus vrai que notre foi est placée en un Dieu qui se montre entièrement digne de confiance. A travers plus de vingt ans de mariage, j’ai une confiance sans faille en ma femme. Jamais je ne prêterais crédit à des bruits l’accusant d’une quelconque infidélité. Ma foi dans le Seigneur grandit aussi. Si un dicton populaire dit «dans le doute, abstienstoi », je me dis aussi, «dans le doute, obstine-toi. »
Et prie
Dans le Notre Père, nous prions « ne nous soumets pas à la tentation, mais délivrenous du mal. » Je rends cette prière plus spécifique en l’appliquant quasi quotidiennement aux points pour lesquels je sais que je suis faible. Seigneur, je suis un homme de peu de foi, gardemoi dans mon intelligence, gardemoi de mes doutes.
J’emprunte aussi des prières bibliques : « Je cherche ta face ô Éternel, ne me cache pas ta face ! »
Mais celle qui me convient le mieux est «je crois, viens au secours de mon incrédulité ! »